Un smartphone dans le cartable ?
Votre enfant réclame un téléphone, et souligne que tous ses copains en ont un (eux !). Si vous vous demandez à quel âge il est sage d’accéder à cette demande, voici quelques faits susceptibles de vous aider à prendre une décision d’ici à la rentrée.
Cartable, trousse, cahiers… et téléphone ! Il ne figure pas sur la liste du matériel scolaire à acquérir à chaque rentrée, mais le portable sera bien présent à l’école. La loi interdit son usage dans les salles de classe, tout en autorisant la réception d’appels et de messages pendant la récréation. Et bien qu’Emmanuel Macron ait fait part pendant la campagne présidentielle de son intention de le bannir des établissements scolaires, le règlement restera inchangé.
Ainsi, on estime que huit collégiens français sur dix l’auront en poche en septembre prochain. Le taux d’équipement a même été multiplié par 4 entre 2011 et 2015, selon le Crédoc. Dans certains collèges, on compte désormais les élèves sans portable sur les doigts d’une seule main. A l’âge où les adolescents travaillent autant leurs cours que leur style, le téléphone est devenu aussi incontournable que les baskets -pardon : les « sneakers » !- à la mode. Et les écoliers de primaire commencent à suivre cette tendance : sur dix élèves de CM1-CM2, un possède un téléphone, et deux autres un smartphone connecté à internet.
Vous songez peut-être que « c’est un peu tôt ». La moitié des Français estime que le « bon âge » pour recevoir son premier téléphone se situe entre 10 et 13 ans, c’est-à-dire à l’entrée au collège1. Pour autant, de nombreux parents hésitent au moment de réaliser cet achat.
Manque de sommeil et baisse de la concentration
Plusieurs études pointent les méfaits sur le développement du cerveau provoqués par les écrans en général, et les smartphones et tablettes en particulier. Par exemple, la lumière bleue qu’ils émettent trouble l’endormissement. Or, les jeunes utilisateurs, plus encore que leurs aînés, attrapent leur smartphone dès le réveil, et l’ont encore en main quand ils se couchent. Ils passent en moyenne six heures par jour face à un écran (d’ordinateur, de téléphone ou de télévision)2, soit trois fois la limite conseillée au niveau international. Leur sommeil perturbé nuit à leur croissance et l’attention en classe se relâche.
Parmi les 130 000 élèves de 91 lycées britanniques suivis par des chercheurs de la London School of Economics, ceux qui fréquentaient des établissements ayant banni le téléphone obtenaient de meilleurs résultats, quand ceux qui cumulaient smartphone et difficultés scolaires voyaient leurs notes chuter encore davantage.
Le danger serait plus grand chez les petits : les enfants de moins de deux ans qui jouent quotidiennement pendant plus d’une demi-heure avec un smartphone ou une tablette présenteraient des troubles du langage, seraient moins compétents à résoudre des problèmes peu complexes, et témoigneraient moins d’empathie3.
En France, le docteur Anne-Lise Ducanda, de la protection maternelle et infantile dans l’Essonne, affirme que l’exposition aux écrans avant l’âge de quatre ans favorise les troubles autistiques. « Ce sont des enfants dans leur bulle, indifférents au monde qui les entoure, qui souvent ne réagissent pas à leur prénom, qui ne jouent pas avec les autres. » Selon elle, un enfant sur vingt serait concerné dans notre pays.
Le blues des réseaux sociaux
Chez les adolescents, les risques se cristallisent sur les réseaux sociaux. La pseudo-réalité qui s’y étale contribuerait ainsi à complexer des jeunes déjà en proie aux affres de la puberté, jusqu’à menacer leur santé mentale. Au Canada, selon les services de santé de la ville d’Ottawa, un quart des 750 lycéens et étudiants qu’ils ont observés manifestait une détresse psychologique voire des pensées suicidaires dès lors que ces derniers passaient plus de deux heures par jour sur les réseaux sociaux. Les esprits les plus vulnérables seraient en effet plus enclins à y chercher un réconfort.
Mais sur internet comme dans la ville, la bienveillance côtoie la violence. Le cyber-harcèlement, initié par des inconnus ou des « camarades » de classe, serait la cause de 3 à 4 suicides par an en France, principalement chez les jeunes de 12 à 13 ans, avait confié Justine Atlan, la présidente de l’association de prévention e-Enfance, à L’Express en mai 2014.
La meilleure façon d’apprendre
A la lecture de ces faits, tout parent serait tenté de répondre à son enfant réclamant de posséder son propre téléphone portable : « passe ton bac d’abord ! ». Mais le pédopsychiatre Marcel Rufo défend cette « encyclopédie » accessible du bout des doigts, qui ouvre une fenêtre sur le monde pour se construire et s’affirmer.
L’outil s’avère même un pédagogue efficace. Par exemple, en 2013 à Gréasque, dans les Bouches-du-Rhône, des élèves de sixième se sont appliqués à concevoir une application touristique qui mobilisait différents apprentissages : les recherches qu’ils ont menées les ont plongés dans l’histoire locale, puis ils ont construit une narration comme appris en cours de français, qu’ils ont traduite en anglais, tout en ajoutant des chants pastoraux orchestrés par leur professeur de musique. Ce projet leur a permis de donner du sens à un corpus d’enseignements parfois abscons et en apparence décousus, et d’éprouver la fierté de la mission menée à son terme.
A travers l’Hexagone, de plus en plus d’enseignants recourent au téléphone pour illustrer des concepts abstraits : mesurer la vitesse d’un ascenseur en physique ; étudier le comportement des oiseaux face au bruit en biologie ; ou encore pour un exercice de traduction bilingue quand ils ne disposent que de deux dictionnaires pour 30 élèves.
Se former dès à présent aux métiers qui n’existent pas encore
Quand la génération actuellement à l’école arrivera sur le marché du travail, elle briguera des emplois qui n’existent pas encore. La mutation numérique de l’économie est en effet loin d’être achevée. D’ores-et-déjà, les grands groupes et les start-up plébiscitent les « digital natives ». Ayant grandi avec Internet et les écrans, ils ont une approche différente et plus innée de la technologie.
L’Education nationale a lancé un investissement d’un milliard d’euros sur trois ans pour permettre à tous les jeunes de prendre ce train du numérique en marche. Lors de l’année scolaire 2017-2018, ce sont donc 600 000 élèves qui devraient avoir accès à un outil numérique (ordinateur ou tablette) individuel ou collectif, soit trois fois plus que l’année précédente.
Mais pour maîtriser pleinement le numérique, il faut aussi apprendre… à s’en passer. Au Royaume-Uni, le collège-lycée pour filles de Gloucestershire a ainsi expérimenté en juillet dernier une semaine de « digital detox », pendant laquelle les élèves ont vu leur téléphone banni de l’école comme de la maison, où il n’a jamais sa place à table, ni pendant les devoirs.
Une expérience similaire a été menée avec les élèves de CM1-CM2 de l’école primaire Manin, dans le 19e arrondissement de Paris. Passé les craintes et la déception initiales, les 23 élèves qui s’étaient tenus éloignés de tous les écrans pendant sept jours ont déclaré être ravis d’avoir relevé le défi.
Décrocher, c’est la clé !
Savoir se détacher du « doudou » numérique est indispensable pour se prémunir d’une dépendance et des angoisses de manque (symptômes de la « nomophobie »), mais aussi utile pour que les professeurs puissent évaluer le niveau des élèves sans biais. En effet, il arrive que certains tricheurs prétextent un besoin urgent pour quitter la salle d’examen et pouvoir consulter leurs antisèches sur leur téléphone. La solution pourrait avoir été trouvée du côté de l’Ecole nouvelle de Lausanne, où les élèves acceptent de confier leur « précieux » au bibliothécaire -et par ailleurs doyen- dès lors qu’ils pénètrent dans l’établissement.
L’Académie des Sciences4 préconise d’« adapter la pédagogie à l’âge de l’enfant et [de] lui apprendre l’autorégulation ». Rien n’oblige donc à adopter la méthode en vigueur dans la ville de Guiyang, dans le sud de la Chine : chaque élève chinois qui enfreint l’interdiction du téléphone à l’école voit sa possession détruite à coups de marteau, après avoir été plongée dans l’eau, sous les yeux de tous ses camarades. La portée pédagogique d’une telle « exécution publique » laisse songeur.
Quel que soit son âge, un enfant apprend en effet d’abord par imitation. Or, un enfant sur trois interrogés par AVG Technologies5 a déclaré qu’il se sentait parfois délaissé par ses parents quand ceux-ci… sont occupés à consulter leur smartphone, notamment pendant les repas ! Ils estiment ne pas recevoir le bon exemple, et rêveraient de confisquer le portable parental s’ils le pouvaient. Du point de vue de l’enfant, le meilleur moment pour recevoir son premier téléphone coïncide sans doute avec celui où son parent est prêt à décrocher du sien.
1 Selon le sondage « Les Français et l’éducation des enfants » réalisé en février 2015 par l’Observatoire de la vie quotidienne des Français BVA-Domeo-Presse Régionale.
2 Enquête internationale « health behaviour in school-aged children », 2016. Ce sondage est réalisé tous les quatre ans dans 40 pays auprès de jeunes de 11 à 15 ans.
3 Etude réalisée avec 890 enfants de 6 à 24 mois et présentée en mai 2017 lors du Colloque des Sociétés académiques américaines de Pédiatrie.
4 « L’Enfant et les écrans », par François Bach, Olivier Houdé, Pierre Léna et Serge Tisseron, Editions Le Pommier, 2013. Cet avis a été remis à plusieurs ministères.
5 Enquête réalisée en juin 2015 auprès de 6000 enfants de 8 à 13 ans de différents pays, dont la France.
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