Smart city : la ville plus facile à vivre grâce aux données ?
Les objets connectés et Internet transforment les organisations urbaines, pour rendre les villes plus écologiques et plus agréables au quotidien. Une transformation qui se bâtit grâce aux données des citoyens.
Imaginez-vous consultant les informations en 2051. Voici ce que vous pourriez lire :
« L’année débute sur un constat enthousiaste : Paris a relevé son défi et rejoint le club des villes à zéro émission de carbone. Que de progrès depuis trente ans ! Les 2,4 millions d’habitants de la Ville Lumière ont pris l’habitude de voir les lampadaires dans les rues s’allumer à leur approche, et s’éteindre peu après leur passage. La smart city parisienne a ainsi réduit d’un tiers la consommation énergétique de l’éclairage urbain.
Chaque logement produit de l’électricité grâce à des panneaux solaires ou des éoliennes domestiques, et fait commerce de celle-ci avec ses voisins. Les embouteillages et les pics de pollution record des années 2020 ont été relégués aux oubliettes.
Désormais, le citadin télétravaille la plupart du temps et quand il doit se déplacer, il emprunte systématiquement les transports en commun ou un véhicule partagé. Et pourquoi s’en priverait-il ? Il est devenu tellement simple de demander à son assistant vocal virtuel de localiser une voiture disponible et de la réserver, ceci après avoir consulté le tarif de location proposé par le particulier qui la possède ! Le véhicule sans chauffeur permet de vaquer à ses occupations pendant le trajet, comme relire une présentation ou échanger avec les autres co-voyageurs. Arrivée à destination, la voiture se gare toute seule sur la place de parking qui lui a été désignée.
Comme sur ce lieu de stationnement, des dizaines de milliards d’objets connectés communiquent entre eux, sans intervention humaine, pour optimiser la vie urbaine quotidienne tout en préservant les ressources.
Grâce à la blockchain, le paiement des services utilisés est devenu automatique, sûr et désintermédié : plus besoin des banques pour enregistrer et certifier les transactions, qui se font désormais entre particuliers. Les porte-monnaie sont désuets : il suffit de présenter sa montre connectée pour acheter les fruits et légumes produits par la ferme urbaine installée sur les toits du quartier.
Vos boutiques préférées conservent votre historique d’achats et s’intéressent à vos réactions sur les réseaux sociaux pour vous adresser des coupons de réduction sur les produits dont vous avez besoin. Un repas commandé auprès d’un restaurant de la ville est livré à votre domicile grâce à un drone solaire.
Les entreprises innovantes des années 2010 - notamment le service de transport Uber, le loueur d’appartements Airbnb ou le livreur à domicile Foodora - ont disparu depuis belle lurette, et les politiques publiques ont changé de visage ! Désormais, les citoyens ont délaissé les élections pour se prononcer en continu sur chaque mesure proposée par les partis politiques et construite sur les calculs d’impact de leur intelligence artificielle. Grâce aux données récoltées et analysées en masse, tout paraît plus simple. »
L’avenir est déjà là
Qu’elle vous séduise ou non, cette ville futuriste, écologique, connectée et régie par les données émerge déjà sur tous les continents. Dès 2014, Barcelone a mis en place un système de régulation de l’éclairage public, fonctionnant par LED. Singapour a implanté des Supertrees (« super arbres ») hauts de 50 mètres pour éclairer les rues, recueillir les eaux de pluie et modérer la température. A Songdo, en Corée du Sud, les routes et les bâtiments construits selon les standards de haute qualité environnementale sont équipés de capteurs permettant de réguler le trafic et la consommation d’énergie. A Los Angeles, les bennes à ordures partagent automatiquement leur niveau de remplissage pour optimiser la tournée des éboueurs. En Israël, Tel Aviv propose une application pour signaler les nids de poules sur la chaussée et permettre leur réparation rapide. En Allemagne, enfin, le fournisseur d’énergie RWE a mis en place un système de paiement par la blockchain sur une centaine de bornes de rechargement pour voiture électrique.
La collecte et l’analyse des données changent aussi le visage des villes en France : grâce à elles, Lyon expérimente des bâtiments à énergie positive et un réseau de véhicules en libre-service dans l’éco-quartier Confluence, et traque les fuites sur l’ensemble de son réseau d’eau potable. Paris régule le trafic autour de la place de la Nation pour réduire la pollution et le bruit.
Les expérimentations sont légion dans les grandes métropoles comme dans les villes moyennes. Montpellier, Dijon, Clermont-Ferrand et Nantes figurent parmi les 70 villes moyennes les plus intelligentes sur 1600 étudiées en Europe par le chercheur viennois Rudolf Giffinger. Derrière les leaders du palmarès général - qui sont Danoises, Autrichiennes et Finlandaises - les Françaises excellent en matière de préservation de l’environnement.
Garder le contrôle sur les données
Devenir une smart city est désormais incontournable : deux tiers de la population mondiale vivra en ville sous trente ans, contre la moitié aujourd’hui. Or, les territoires urbains émettent 80% des gaz à effets de serre, alors qu’ils ne couvrent que 2% de la surface de la planète.
La technologie peut aider à répondre à cet enjeu, mais pose la question de l’utilisation des données personnelles. La loi européenne de protection des données, qui entrera en vigueur dès l’année prochaine, en encadre plus strictement encore l’usage, et permet à chaque consommateur et citoyen d’avoir un droit de regard sur l’utilisation qui est faite de ses données. Les organismes publics en collectent eux aussi, sur leurs propres serveurs, et doivent missionner un délégué à la protection des données personnelles pour veiller à leur protection.
Cette mesure apparaît suffisante pour la plupart des observateurs, qui arguent que les villes intelligentes ne traitent que des données anonymes. Une voix dissonante s’est toutefois faite entendre en 2016 : Rob Kitchin, chercheur à l’Université irlandaise de Maynooth, soulignait alors que les données sont rarement anonymes mais plutôt « pseudonymisées », ce qui rend le processus réversible. Autrement dit, votre identité peut être retrouvée.
Le chercheur attirait l’attention sur le fait que les villes intelligentes ont aujourd’hui peu l’habitude de requérir le consentement des citoyens dont elles intègrent les données. Dans un état démocratique transparent, l’impact est limité. Il avertit en revanche que ce système de collecte des données pourrait être préjudiciable si une puissance publique décidait de les utiliser pour prédire des crimes ou pour lutter contre le terrorisme.
Rob Kitchin recommande que tous les Etats définissent le caractère privé de la donnée comme fondamental – à l’instar de l’Union européenne – et que la puissance publique se charge d’informer les consommateurs-citoyens des enjeux liés à la donnée. Pour que l’accès au monde paradisiaque des villes intelligentes ne se fasse pas au prix des libertés individuelles.
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